" La force et l’énergie que je cherche et tente d’exprimer sont paradoxalement dans la connaissance intime de la fragilité du monde " YB
Je suis fils d’ébéniste charpentier, et le bois est la plus belle de mes « Madeleines proustiennes », à tous les niveaux et dans tous ses états. Les parfums et les essences nordiques ou exotiques de l’atelier du père faisaient voyager mon imagination d’enfant sur les cartes de l’atlas familial. Mais au-delà du matériau sont nées une conscience et une passion pour l’arbre, ce roi universel du monde végétal. Il est une source d’énergie fondamentale, un axe cosmique qui relie verticalement le monde souterrain de ses racines à l’arborescence céleste de son feuillage. Il est symbole et marque plus que tout autre chose le temps rythmé des saisons et des âges de la vie. Il est concept et icône métaphorique de la vie elle-même. Il donne son vocabulaire aux poètes autant qu’à la science pour évoquer la force, la croissance, les séquences de la vie, les racines pour les origines les plus lointaines, le tronc pour celui du corps humain, les branches pour la généalogie, les bourgeons pour les enfantements, les fleurs pour l’érotisme et le langage ésotérique de l’amour, racines et fruits comme nourriture originelle…
Ses fibres et ses reflets sont des chevelures de sève. Puis vient le travail de la main et des outils sur ce matériau noble.
Ses fourches, ses écorces, ses évocations anthropomorphiques ont fait naître depuis mon enfance un principe de collection qui emplit ma vie, mon jardin, ma maison et…mon atelier d’artiste. Je ne cherche ni ne provoque jamais. Un seul coup d’œil peut sauver de la scie, de la hache, de la tronçonneuse et du feu de cheminée, en une fraction de seconde et sans préméditation, une Vénus, un Adam, une Eve, ou une silhouette totalement imprévisible mais visible. Il s’agit toujours de rencontres fortuites et aléatoires dans les hasards du temps et de l’espace de mon jardin qui est peut-être d’Eden. Mon travail est a minima. Je capture et je retiens pour quelque temps ces icônes naturelles qui lient avec tant de force l’éphémère et l’universel, ce qui est précisément mon questionnement pictural.
Ces sculptures s’inscrivent de surcroît dans la pure tradition du couple Adam et Eve de l’histoire de l’art, ainsi que des trois Grâces, des bustes de l’homme qui marche de l’Antiquité jusqu’à Giacometti via Rodin, ou des Vénus préhistoriques, du totem mystique, ou de la caricature d’une silhouette furtive, tragique ou humoristique.
YB